Cadre du jeu, cadre du travail quel transfert ?
Le changement grâce à la Ludopédagogie
Par Carlo Bianchi – Dirigeant de LEARNING by DOING
On admet généralement que le jeu est un outil qui peut permettre d’apprendre, aussi bien pour l’enfant que pour l’adulte. Mais comment assurer le transfert du fictif au réel ? La question se pose plus crûment en formation professionnelle d’adultes où le jeu est fréquemment utilisé.
À ce propos, j’ai pensé qu’il était intéressant de reprendre et réactualiser le contenu d’un article que j’ai écrit il y a quelques années pour la revue Cahiers Pédagogiques.
À l’époque, je m’étais engagé dans un doctorat en sciences de l’éducation, jamais achevé du fait des lourdes contraintes imposées par la double posture de formateur/apprenant.
La question qui était posée :
« En quoi l’apprentissage par le jeu produit des acquis transposables au contexte professionnel ? »
Comme j’avais repris les études tout en exerçant ma profession de formateur, je pouvais accéder, en même temps, aux concepts fondamentaux de la pédagogie et à la réalité de l’entreprise ; et pour répondre à la question j’ai utilisé une mission qui m’était confiée par une entreprise industrielle :
Former et accompagner une équipe de production (cadres, techniciens et opérateurs) dans la mise en place de nouvelles règles de travail, dans le but d’améliorer l’hygiène, la sécurité, l’ergonomie et donc la productivité de l’atelier
(les connaisseurs reconnaîtront ici la méthode appelée « 5S »).
Sous la direction de Jean-Pierre Astolfi (éminent chercheur, que je considère le plus grand spécialiste de la pédagogie de l’erreur) j’ai commencé ce travail de recherche en me concentrant sur les éléments qui créent l’apprentissage, mais finalement je me suis rendu compte que la réponse à la question se trouvait plutôt dans les mécanismes relationnels de l’entreprise.
Je m’étais trompé de lunettes, quelle horreur !! -)
Je n’ouvre pas ici la parenthèse de l’apprentissage par l’erreur parce qu’elle nous amènerait trop loin, mais j’en profite pour signaler un point d’alerte, souvent négligé dans l’usage du jeu de formation : réfléchissons bien à comment faire en sorte que l’erreur ne soit pas vécue par nos apprenants comme une faute…
Après avoir changé les lunettes de la pédagogie avec celles de la sociologie des organisations, j’ai commencé à voir moins flou grâce à la « Théorie des cadres » d’Erving Goffman, une approche qui permet de dessiner une grille de lecture simple mais complète pour analyser les interactions entre plusieurs acteurs.
Un thème récurrent se retrouve dans tous les travaux de Goffman : l’individu placé dans une situation sociale quelconque, va adopter un comportement déterminé par un code.
En fait, pour un individu, un événement ne prend sa signification que s’il est placé dans un cadre.
Les activités du moment font appel à un ou plusieurs cadres interprétatifs. Les cadres primaires sont utilisés pour donner une signification aux événements, sans être rapportés à une interprétation préalable.
Un employé en retard à son travail (cadre primaire) comprend aussitôt la signification de l’attitude de son patron qui s’attarde à examiner sa montre…
Sur la même question, plusieurs auteurs se sont exprimés. Je cite ici, mot par mot, la réponse de Philippe Meirieu à la question posée par Yvana Ayme dans Cahiers Pédagogiques en décembre 2006 :
YA : Que pensez de la relation entre jeu et travail ?
PM : Il me semble que, sur le plan pédagogique, il n’y a pas superposition. Certes, tout jeu nécessite, à l’évidence, un certain « travail » intellectuel ; de même, nous savons bien que les « bons élèves » sont ceux qui vivent les exercices scolaires comme des jeux et y trouvent un vrai plaisir ludique. Mais ce qui caractérise le travail – toutes les formes de travail et, donc, aussi le travail scolaire – c’est que, d’une part, la personne s’engage et assume la responsabilité́ des conséquences de ses actes et que, d’autre part, il y a irréversibilité́ du temps : on ne peut pas revenir en arrière parce qu’on est dans l’histoire, dans « son histoire », mais dans une temporalité́ où il est impossible de rebattre les cartes, de faire ressusciter les morts et de changer de place entre chaque partie. Ce n’est pas parce certains jeux traditionnels sont devenus des spectacles ou des guerres et ont perdu leur caractère de réversibilité́ temporelle que le jeu en soi a perdu cette caractéristique essentielle.
Ainsi, à l’école, il me semble important de distinguer les temps de jeu des temps de travail : dans le jeu, le résultat n’est pas important, ce n’est pas « pour de vrai »… Dans le travail, au contraire, le résultat est ce qui compte, ce qui, d’une manière ou d’une autre, sera évalué́, ce qui permettra de franchir une étape décisive, etc. Alors, qu’on puisse jouer pour s’entraîner à travailler, c’est une évidence, mais que tout travail soit un jeu et réciproquement, je trouve cela dangereux. Encore une fois, le jeu n’est possible et intéressant que parce qu’il y a des moments où « l’on ne joue plus ! ».
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- Quel intérêt du jeu en formation d’adultes ?
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- Comment choisir un jeu ?
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