La Ludopédagogie, entre mythes et réalité
Gamifier vos formations
Par Carlo BIANCHI
Consultant en Ingénierie Pédagogique & Dirigeant de LEARNING by DOING
La Ludopédagogie aujourd’hui
Les professionnels de la formation sont de plus en plus enclins, voire encouragés, à gamifier leurs formations donc à utiliser des activités d’apprentissage intégrant le jeu en tant que modalité pédagogique.
Je ne vais pas développer ici ce qu’est un jeu de formation, car il n’existe pas de définition universellement reconnue. Dans cadre de la formation on retrouve, la plupart du temps, des activités qui ne sont pas des jeux proprement dits, mais plutôt des situations qui traduisent les activités d’apprentissage ordinaires en situations susceptibles d’être « interprétées » comme ludiques par les apprenants.
Je tiens à mettre l’accent sur le mot « interprétées » puisque, pour les ludologues, un jeu n’est un jeu que s’il n’est considéré comme tel, d’où la prise en considération de l’environnement culturel dans lequel la formation se situe, car nous savons tous que le jeu a été considéré pendant des siècles comme une activité enfantine, improductive, voire futile, ou en tous cas éducatif uniquement pour les enfants.
Mais depuis quelques décennies le jeu suscite un tel engouement dans le milieu de la formation professionnelle, qu’aujourd’hui ses vertus pédagogiques sont reconnues à sa juste valeur et font de lui un outil presque incontournable.
Bien que tous les experts en la matière s’accordent pour dire que le jeu est un outil apprenant, son usage doit comporter une série de précautions.
En tant que formateur et praticien du jeu, je constate que les objectifs recherchés par les entreprises ne sont pas toujours cohérents avec le véritable potentiel pédagogique du jeu.
En fait, les relations entre jeu et apprentissage font l’objet de légendes qu’il est important de démystifier.
Quelques mythes sur le jeu de formation
Mythe n° 1 – Le jeu motive à apprendre
Des activités de formations dynamiques qui ont lieu dans une ambiance conviviale ont certainement un impact positif sur l’implication des apprenants, mais la motivation à apprendre (la vraie) est une affaire bien plus complexe.
Mais comment persuader les collaborateurs qu’il est important de se former, alors qu’ils sont déjà très sollicités pour atteindre des objectifs métier ambitieux ?
Je ferme tout de suite la parenthèse sur la motivation à apprendre et l’importance du rôle du management (ce sujet nécessiterait un article spécifique), pour revenir à ce qui nous préoccupe ici : on veut utiliser le jeu en espérant qu’il motive les apprenants !
Mais lorsque l’on utilise la Ludopédagogie pour augmenter l’attractivité d’une formation peu appétissante, on pratique ce qu’on appelle : la stratégie « chocolat sur les brocolis », c’est à dire, chercher à enrober l’amertume des brocolis (l’apprentissage) avec la douceur du chocolat (le jeu).
LE JEU A DES QUALITÉS PÉDAGOGIQUES INTRINSÈQUES
À tort, le jeu est trop souvent considéré comme une ruse pédagogique et utilisé comme tel. Cette approche manipulatoire est à la fois contreproductive et nuisible à la crédibilité du jeu, mais aussi à celle du formateur qui l’anime, parce-que derrière la saveur sucrée du jeu-chocolat c’est l’amertume de l’apprentissage-brocolis que le joueur finira toujours par trouver !
Évitons de chercher dans le jeu des prétendues qualités motivationnelles, alors que ses propriétés apprenantes intrinsèques sont amplement suffisantes à justifier son intégration dans un parcours de formation.
Le jeu facilite l’engagement du joueur et son appropriation des énigmes à résoudre.
Le jeu permet à l’apprenant d’exercer sa liberté y compris celle de se tromper. Il peut, grâce au feedback qu’il reçoit directement du jeu, reconnaitre ses erreurs et tenter de les corriger.
Par ailleurs, l’apprenant-joueur qui se trompe n’est pas stigmatisé et il a toujours la possibilité de recommencer. Dans un jeu rien n’est grave, alors que les erreurs commises dans la vraie vie sont souvent considérées comme des ratés de compétences, voire des fautes.
Ce sont ces propriétés qui font des jeux des situations d’apprentissage intéressantes au sein desquelles le joueur pourra vivre une expérience enrichissante et, pourquoi pas, motivante…
Mythe n° 2 : L’effet « Waouh »
L’effet waouh est défini par les spécialistes du marketing comme un message qui « … va au-delà de la satisfaction et des attentes du client. Il ajoute un sentiment d’extraordinaire et d’inattendu à une simple relation marchande, en lui apportant une valeur émotionnelle forte. »
Mais si l’effet Waouh a démontré son efficacité dans la vente, il est loin d’obtenir les mêmes résultats en formation.
Il faut admettre que l’apprentissage n’est pas qu’une affaire rationnelle et que les émotions jouent un rôle très important.
Cependant, les émotions positives déclenchées par l’effet Waouh lors d’une formation sont de très courte durée ; Ils disparaissent comme la neige au soleil, provoquant ainsi un sentiment de frustration au moment où les apprenants reviennent à la réalité.
J’entends par réalité le cadre institutionnel de la formation, dont la vraie finalité est le passage du non appris vers l’appris. Ce cheminement exige des apprenants un inévitable effort de concentration, de réflexion et de remise en question.
EFFORT ET SATISFACTION DU RÉSULTAT OBTENU
Prenons l’exemple d’une forme de jeu qui est très à la mode en ce moment, l’escape game.
Impliqué dans un escape game, un apprenant est challengé avec un objectif qui a du sens pour lui : résoudre des énigmes pour pouvoir quitter la pièce dans laquelle il est enfermé.
La résolution de ces énigmes constitue alors une activité dont il comprend la finalité et pour laquelle il doit s’impliquer dans la recherche de solutions.
L’apprentissage est alors possible uniquement si la résolution des énigmes exige du joueur la mobilisation des connaissances que le formateur a décidé de lui faire acquérir.
Ce n’est donc pas le Waouh qui rend apprenant un escape game (ou toute autre forme de jeu) mais plutôt la satisfaction personnelle des joueurs d’avoir réussi des épreuves.
Cette satisfaction sera est perçue comme une récompense de l’effort produit et agira également de manière positive positive sur la mémoire épisodique (voir ce dossier de l’Inserm pour plus de détails sur le fonctionnement de la mémoire).
Mythe n° 3 – On apprend mieux en jouant
En réalité, l’expression « apprentissage par le jeu » est trompeuse.
L’apprentissage de concepts dans le cadre du jeu n’est possible que si le temps consacré au jeu est suivi par un temps d’apprentissage.
Concrètement, dans la partie de jeu, l’apprenant est occupé physiquement et intellectuellement à jouer.
De ce fait, le jeu doit comprendre une alternance de phases dédiées au jeu et de phases de formation explicite. Autrement dit, pour apprendre du jeu, il faut quitter le jeu car on n’apprend pas en jouant mais en réfléchissant sur l’expérience vécue durant le jeu. C’est l’essence même de la pédagogie du détour, dont le jeu fait partie.
Donc, la question des effets des jeux sur l’apprentissage n’est pas pertinente si elle ne prend pas en compte la manière dont ils sont animés.
L’usage d’un même jeu pourra avoir des conséquences très différentes selon la manière dont il est intégré dans la formation. Ainsi, la question de l’efficience de la Ludopédagogie n’a pas beaucoup de sens et d’autres questions bien plus importantes mériteraient d’être posées :
- Comment évaluer les qualités intrinsèques d’un jeu ?
- Comment l’intégrer dans un processus pédagogique en l’alternant à d’autres activités ?
- Quel jeu pour quel apprentissage ?
On n’apprend pas mieux en jouant. On apprend mieux si on joue à des jeux bien conçus pour des objectifs d’apprentissage clairement définis et si le formateur a mis en place les conditions nécessaires pour que le temps consacré au jeu soit intégré dans un scénario qui prenne en compte ces objectifs.
Références bibliographiques :
- Jeu et Éducation, Gilles Brougère, L’Harmattan
- Apprendre en jouant, Margarida Romero, Eric Sanchez, Éditions Retz
LIVRE BLANC
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